Les Techniques de Blanchiment d'Argent

Bachir El Nakib (CAMS)

 Les activités criminelles génèrent beaucoup d’argent, la plupart du temps sous forme liquide. Cela pose un vrai problème au brigand qui veut l’utiliser ou le placer à la banque sans éveiller les soupçons. Heureusement (ou malheureusement) les méthodes de blanchiment sont diverses, efficaces, et s’adaptent à tous les désirs. Ainsi les détenteurs de cet argent sale pourront récolter le beurre, l’argent du beurre, et la crémière.

La question qui se pose alors est : comment utiliser cet argent tout en dissimulant son origine ? Les experts distinguent trois étapes. Le placement, qui consiste à placer l’argent dans un compte bancaire en masquant son origine illégale, la dispersion, qui consiste à brouiller les pistes en utilisant des transactions financières complexes afin de légitimer la possession de cet argent, et enfin l’intégration grâce à laquelle le criminel pourra investir dans les secteurs légaux sans être inquiété.

La mafia sait se faire discrète. Pourtant son champ d’action ne se limite pas aux simples activités criminelles. Elle est également omniprésente au sein des marchés financiers comme au sein de l’économie légale. Et ce n’est pas en période de crise que les activités de la mafia risquent de se tarir.

 « J’ai des mains faites pour l’or ». Tony Montana, le parrain de la mafia dixit Scarface, ne s’y est pas trompé. La mafia est aujourd’hui l’organisation la plus rentable au monde. Selon un rapport de la Confesercenti, la pègre italienne dégagerait en 2007 un chiffre d’affaires avoisinant les 130 milliards d’Euros pour un bénéfice net de 70 milliards d’Euros ! Une statistique assez éloquente pour en faire rougir les plus grandes entreprises mondiales… En comparaison, le géant Microsoft a affiché la même année un chiffre d’affaires de 60 milliards de Dollars pour un bénéfice de 17,7 milliards de Dollars !

Problème : si Microsoft peut gérer ses fonds sans aucune difficulté légale, il est plus difficile pour la Mafia d’en cacher l’origine criminelle. La majorité de ces activités criminelles (racket, vol, usure, trafic de drogues, trafic d’armes, proxénétisme…) ne génère en effet que du cash ! Difficile de passer inaperçu lors d’un dépôt de 100000 € de cash à la banque, d’autant qu’un dépôt de 7600 € suffit à lancer une enquête. Heureusement (ou malheureusement) quelques pirouettes s’offrent à nos vilains petits canards pour transformer l’argent sale en argent propre : ce sont les mécanismes de blanchiment d’argent.

Ce blanchiment se déroule en trois phases. La première vise à placer l’argent sale dans une banque sans éveiller les soupçons. Pour cela, la mafia peut avoir recours aux techniques traditionnelles (élaboration de fausses factures, déclaration de gains fictifs ou de recettes fictives…) comme aux paradis fiscaux. Ainsi, le recours aux techniques traditionnelles explique en partie la main mise de la mafia sur les commerces dont le chiffre d’affaires est difficilement contrôlable (restauration, laverie…). Ces pratiques ne s’appliquent cependant qu’aux petites sommes tant il serait suspicieux de déclarer des chiffres d’affaires excessifs (des laveries au chiffre d’affaires mensuel de 15 million €, ce n’est pas courant…). Quant aux paradis fiscaux, garants du secret bancaire, d’une immunité judiciaire et d’un régime fiscal attractif, on pourrait les renommer « Paradis blancs », n’en déplaise à Michel Berger. Ils sont en effet devenus les machines à laver privilégiées de la mafia, à condition toutefois que celle-ci soit parvenue à faire voyager le cash hors de ses frontières.

Une fois l’argent sale placé, il fait l’objet d’un brassage visant à masquer son origine criminelle. Les banques et sociétés écrans peuvent (volontairement ou non) être impliquées dans un tel processus. Les banques car elles se retrouvent au centre d’une valse de transferts bancaires si complexes qu’il devient impossible de détecter l’origine des fonds transférés. Les sociétés écrans (Holdings, sociétés Offshores…) car elles se situent dans des paradis fiscaux et garantissent un secret bancaire, ce qui leur permet de mélanger argent propre et argent sale pour les investir sous forme de montages financiers ou de prises de participations dans d’autres sociétés.

Ces prises de participations amorcent la troisième et dernière phase : la pénétration dans l’économie légale. Celle-ci présente pour la mafia le double intérêt de l’enrichir et d’accroître sa domination territoriale. Elle s’enrichit car elle profite de la croissance économique de l’entreprise dans laquelle elle investit et de la rentabilité de ses titres de participations. Elle accroît sa domination territoriale car plus le nombre d’entreprises qu’elle contrôle dans une région est importante, plus la région est en situation de dépendance. Ainsi la mafia napolitaine, la Camorra, contrôlerait 50% des entreprises de traitement des déchets de Naples et en tirerait un bénéfice d’un milliard par an…

Actuellement, la crise amplifie la pénétration de la mafia dans l’économie légale puisque les entrepreneurs, confrontés à la raréfaction des investisseurs, n’ont guère  d’autres solutions que d’accepter les investisseurs douteux. Autant dire que les organismes de lutte contre le blanchiment, tels que le Gafi (Groupe d’action financière), ont encore de longues années de travail devant eux…

Et pour cela les criminels, mais aussi les financiers, ne manquent pas d’ingéniosité et de créativité. Voici donc les techniques de placement les plus utilisées :

 

1) Injecter l’argent sale dans le chiffre d’affaires d’un commerce complice

Le commerce peut être celui d’un complice, ou appartenir au criminel :  une pizzeria, une bijouterie, un casino, ou encore un hôtel. C’est parfait tant que la plupart des clients payent en liquide, et que leur nombre soit facilement falsifiable.

2) Déclarer de faux gains aux jeux

La technique la plus connue est, avec la complicité du gérant d’un casino, de perdre son argent dans le jeu, et se le faire rembourser moyennant une commission généreuse.

3) Acheter des œuvres d’art aux enchères

Un complice peut mettre une œuvre d’art aux enchères, le criminel l’achète, le commissaire priseur remet l’argent au complice. Quelques jours plus tard le criminel va voir le complice, lui remet l’œuvre, et récupère l’argent moyennant, encore une fois, une commission. Ainsi le criminel pourra dire que l’argent lui vient de la vente d’un tableau par exemple.

4) Rédiger de fausses factures

Considérons une société A contrôlée par un criminel et une société B ayant besoin de liquide. La société A adresse une facture à la société B contre une prestation de services (entièrement simulée) par exemple. La société B envoie un chèque à la société A afin de payer. La société A rembourse la B ni vu ni connu en argent liquide et va ensuite encaisser le chèque qui pourra lui permettre de justifier la rentrée d’argent.

5) Envoyer l’argent à l’étranger

Pour cela il faut passer par le bureau de change qui fera la conversion en grosses coupures puis, envoyer l’argent vers des pays moins regardant sur l’origine de l’argent.

6) Ouvrir un compte bancaire anonyme

En termes simples, cela signifie que l’individu peut utiliser toutes les fonctions bancaires (carte bancaire, dépôt, retrait, paiement) sans révéler son identité. L’individu peut recourir à cette option s’il ne veut pas que les autorités d’un pays particulier sachent qu’il est impliqué dans des transactions pas très nettes.

7) Déposer l’argent dans un paradis fiscal

Cela permet de placer en toute impunité des flux financiers gigantesques. C’est l’option préférée des groupes criminels mais aussi des politiciens, des hommes d’affaires et des célébrités.

8) Utilisation des marchés financiers

Le but est de transférer l’argent sale d’une personne X vers le compte d’une personne Y. C’est le gérant du portefeuille qui va s’en occuper. Ainsi, il va acheter 10 actions B à 500€et les revendre directement après au même prix. Ensuite, le prix des actions B ayant baissé, il achète 10 actions B à 495€et les revend juste après au même prix. Il n’y a ni perte ni gain. Ensuite, après quelques manipulations, il va attribuer l’achat des 10 actions à 495€et la vente des 10 actions à 500€à la personne X qui récupérera les 500€,puis il va attribuer l’achat des 10 actions à 500€et la vente des 10 actions à 495€ à la personne Y qui enregistrera une perte de 500€, la perte étant bien sûr fictive car la personne Y n’a pas engagé de capitaux. Le volume des transactions étant immense ce genre d’opérations passe inaperçu.

9) Le faux procès

Supposons qu’un criminel détienne deux sociétés. Une société A située dans un pays peu contraignant (paradis fiscal par exemple) et une société B située dans un pays occidental. La société A va fournir une prestation à la société B. La société B va refuser expressément de régler la facture. La société A va donc saisir la justice et la société B se verra condamnée à régler la somme. Sans le savoir la justice va jouer un rôle primordial dans le blanchiment de cet argent car elle aura donné la preuve que l’argent n’est pas sale.

10) Le prêt adossé

Cette opération implique trois acteurs : une banque européenne, le blanchisseur, et une banque dans un paradis fiscal. La banque européenne accorde un prêt d’une somme importante au blanchisseur. Si le blanchisseur ne peut s’acquitter de sa dette, le contrat stipule que c’est la banque du paradis fiscal qui va rembourser la banque européenne. Ainsi, soit le blanchisseur investit légalement et gagne assez d’argent pour rembourser le prêt, soit il se déclare inapte à rembourser et dans ce cas c’est la banque du paradis fiscal qui va rembourser la banque européenne avec l’argent sale que le blanchisseur leur a déposé.

Malgré tout cela le blanchiment d’argent reste une affaire très délicate. Tous les procédés mentionnés précédemment sont connus des autorités et font l’objet d’une surveillance renforcée. Plusieurs dispositifs internationaux ont été mis en place afin de lutter contre ce phénomène. En France, il y a Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins. Les Etats-Unis disposent de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control). A Monaco, c’est le SICCFIN (Service d’information et de contrôle des circuits financiers) qui se charge de ces dossiers. La Suisse, enfin, dispose de la CDB (Convention de diligence des banques). Avec l’aide des gouvernements, ces instances sont très compétentes en matière de détection de fraude. En 2013, pas moins de 1,7 milliards d’argent sale ont été saisis par la justice française. N’espérez donc pas planquer vos millions en utilisant une de ces techniques sans risquer de vous faire choper…