La derive des entreprises du medicament
La dérive des entreprises du médicament
Une bulle financière se caractérise par une augmentation des prix sans rapport avec la valeur réelle des biens, entretenue par la spéculation qu’alimente l’espoir de gains rapides.
Les bulles ne montent jamais jusqu’au ciel et lorsque les prix atteignent un niveau tel qu’il reste insuffisamment d’acheteurs crédules, les prix s’effondrent et les valeurs se dégonflent brutalement entrainant une destruction de valeurs boursières qui dépasse souvent les secteurs économiques à l’origine des troubles.
La nocivité des bulles spéculatives a été illustrée par la crise de 1929 et plus récemment par la celle de l’immobilier, le scandale des sub primes et la faillite de nombreux établissement financiers entrainant la crise de l’économie mondiale. On peut se demander si la folie spéculative actuelle sur les prix des médicaments ciblés ne risque pas d’emporter l’industrie pharmaceutique malgré sa puissance financière colossale.
« L’appel des 110 cancérologues » français après celles de spécialistes anglo-saxons au congrès international mondial de l’ASCO en juin 2015 insiste à juste titre sur le cout démesuré des nouvelles drogues. Leur très faible valeur médicale ajoutée accroit le risque d’explosion de ce système à brève échéance.
La dérive des entreprises du médicament
Dans les années 1980, en France le prix moyen des médicaments atteignait 10 euros (en valeur actualisée), la plupart étaient remboursés à 80% ou 100% et le budget de la sécurité sociale était en meilleur équilibre.
Depuis les années 90 et la mondialisation, les entreprises du médicament se sont concentrées, fusionnées, restructurées comme la métallurgie ou l’automobile. Leur direction, jadis scientifique est passée dans les mains de financiers aux salaires démesurés. A la fin des années 90, les grands patrons suisses étaient banquiers et gagnaient jusqu’à trois millions de francs mais depuis les PDG de big pharma ont multiplié ce salaire par 20 ou 30 ! Le record versé en Suisse a été celui de Novartis en 2008 : 40,3 millions de francs suisses[1]. Pour l’année 2015 les dividendes versés aux actionnaires des dix premières entreprises du médicament ont atteint plus de 70 milliards d’euros soit 95% des bénéfices (qui représentent 15 à 25% des chiffres d’affaire). En comparaison les budgets de recherche et développement ne dépassent pas 56 milliards d’euros (15 à 20% du chiffre d’affaire), et sur cette somme ,c’est la communication (congrès, visite médicale, enseignement post universitaire, soutien aux sociétés savante associations de malades utiles pour la promotion, lobbying (40 millions euros consacrés en 2014 pour la commission de Bruxelles[2] ) et parfois la corruption qui s’y taillent la part du lion au détriment de la recherche fondamentale progressivement réduite à moins de 5% du chiffre d’affaire. Grâce à ce budget considérable de développement, les firmes se sont assurées la prise de contrôle des revues médicales y compris les plus prestigieuses et la collaboration active des médecins leaders d’opinion, des sociétés savantes, des journaux, de la majorité des experts des agences de régulation du médicament, des fonctionnaires du ministère de la santé et de très nombreux décideurs politiques. Leurs liens d’intérêts, soigneusement dissimulés en France expliquent la facilité avec laquelle des médicaments peu actifs obtiennent leur autorisation de mise sur le marché à des prix de remboursement astronomiques sans aucun rapport, ni avec leur intérêt intrinsèque pour les malades, ni avec les investissements qu’ils ont nécessité, mais seulement avec ce que la firme pharmaceutique estime pouvoir obtenir grâce à ses relais avec le pouvoir.
L’augmentation démesurée des prix
L’explosion des prix, dénoncée par l’appel des 110, est illustrée le prix des cures Avastin® : environ 2000€ par séance, mabthéra® : 5.384 €, erbitux®1.447€ , herceptine® 2.192 €, alimta 2.000 € . Le Glivec atteint 3500 à 7000 euros par mois, le sutent 5 675 euros par cycle de 6 semaines (coût annuel moyen par malade 50 000 euros), le Nexavar*3 743 euros pour 4 semaines (coût annuel moyen 48 800 euros), le Votrient* 3 210 euros pour un mois (coût annuel 37 000 euros), l’Inlyta*5053 € pour 4 semaines, le Xtandia* 3500 € mensuel, le Zitiga 3500 € mensuel, l’Abiratérone 3500€ mensuel …
En comparaison, le tamoxifène (qui améliore de 15% les chances de guérison des malades ménopausées souffrant de cancers du sein) coute 70 euros par mois. De même la plupart des cures de chimiothérapie classiques reviennent à moins de 100 euros par mois (30€ environ la séance comme le Taxol*).
Le mirage des thérapies ciblées et la spéculation se caractérise par une multiplication par 70 voire parfois 100 des prix qui met en péril les systèmes de santé mondiaux, sans aucune justification ni industrielle ni médicale.
L’absence de justification industrielle réelle.
Les représentants du Leem ([3]) prétendent que la mise au point de médicaments revient très cher, que le traitement des maladies rares n’est pas rentable que les bénéfices d’aujourd’hui seront les médicaments de demain. En réalité le prix de revient moyen d’un médicament ne dépasse pas 100 millions d’euros (et non pas 1 milliard comme trop souvent répété ). Les bénéfices ne sont pas réinvestis en recherche mais presque intégralement reversés aux actionnaires.. Toutes les maladies sont maintenant fractionnées en petits morceaux pour bénéficier du label « maladie rare ou orpheline » avec son cortège d’avantages de durée de brevet, de prix, et de facilité de mise sur le marché. Une fois le tarif exorbitant obtenu pour cette drogue censée n’être utilisée que pour quelques centaines de malades, on obtient un nouveau label maladie rare dans une autre indication élargissant progressivement le marché. C’est ainsi que l’avastin a obtenu 7 fois sa reconnaissance comme traitement de maladie rare !
L’absence de justification des prix actuels est confirmée par les prix pratiqués dans les pays qui s’affranchissent des brevets pour permettent à leur population d’accéder aux médicaments qu’il s’agisse de génériques ou de licences obligatoires pour nouvelle drogue. L’exemple du sofosbuvir est éloquent. Traitement contre l’hépatite C, , ce médicament est vendu 84 000 dollars aux USA, 41 000 euros en France. Des fabricants indiens estiment pouvoir le vendre à moins de 1 000 dollars, tout en restant bénéficiaires[4]. Le cas du Nexavar* [5]est aussi démonstratif ; sa licence obligatoire autorise le fabricant indien Natco à le distribuer à 130 euros mensuel au lieu des 4800 euros réclamés par Bayer. Lorsque Novartis avait obtenu un brevet en Inde, le Glivec se vendait à 2 600 $ US par patient et par mois contre moins de 73 dollars pour la version générique, a indiqué une conseillère juridique de Médecins sans Frontières.
La très faible valeur médicale de ces thérapies nouvelles.
Ces thérapies innovantes ne sont ni révolutionnaires ,ni miraculeuses, contrairement à la propagande des labos et des leaders d’opinion appointés. A l’exception d’une infime minorité, ces nouveaux médicaments n’apportent aucun bénéfice réel durable pour les malades. Leurs études pivots sur de faibles effectifs qui leur ont ouvert l’AMM [6]présentent toujours de manière flatteuse les résultats, efficacité affirmée (le plus souvent contre placebo[7]) sur quelques mois(quatre le plus souvent) sur une absence de progression. Les résultats publiés ultérieurement démentent ces prétentions dans la quasi-totalité des cas, ne montrant aucune amélioration du taux de guérison, ni d’amélioration substantielle de la durée de survie, ni de la qualité de survie.
L’exemple de l’avastin est caricatural. Les ventes mondiales ont atteint 7 milliards d’euros en 2014 dont 400 millions d’euros en France alors que cette drogue dont l’AMM date de plus de dix ans n’apporte rien aux malades que ce soit dans les cancers du poumon, du sein, du rein ,du colon, ses indications principales et que sa trop faible efficacité et sa toxicité parfois mortelle a décidé la FDA à supprimer son AMM dans le cancer du sein. On ne comprend guère qu’il soit encore prescrit et remboursé 50 000 euros par patient et par an en France. Mais il est des vérités qu’il ne faut surtout pas dire ni écrire : lorsqu’un journaliste indépendant (J. VINCENT) a eu le courage de l’écrire dans le Point, 78 cancérologues leaders d’opinion l’ont publiquement accusé d’incompétence et défendu l’avastin en oubliant de mentionner leurs liens d’intérêt avec le laboratoire, violant ainsi la loi française. Preuve supplémentaire du pouvoir des big pharma sur la presse, le journal ne l’a pas soutenu mais a, au contraire, préféré supprimer sa rubrique « le médicament dangereux du mois »..
Le cas de l’Erbitux* dans les cancers des voies aériennes supérieures est démonstratif. L’étude pivot de 2011 proclamait une augmentation de la durée de survie de près de 20 mois (49 vs 29 mois) par ajout d’erbitux* à la radiothérapie seule et une faible toxicité. Pourtant toutes les études ultérieures,[8] ont démontré a supériorité du traitement par chimiothérapie classique sur l’erbitux* et observé une toxicité importante (mortelle chez 2% des malades traités !). L’association de l’erbitux* à la chimiothérapie n’apporte rien aux malades dans les deux études les plus récentes[9]qui démentent l’étude pivot de 2008 qui claironnait un gain de survie.
De même l’Alimta® a couté 153 millions d’euros à la sécurité sociale en 2013 alors qu’il n’apporte aucun progrès par rapport au Gemzar ® et au taxotère[10] d’après la Haute Autorité de Santé. De même pour le Tyverb* qui bénéficie d’une AMM conditionnelle alors que étude ALTTO[11]présentée à l’ASCO 2014 montre que l’ajout de Tyverb* à l’Herceptine* n’améliore en rien la durée de survie sans progression ni la survie globale.
De même pour le Zytiga* [12] dans le cancer métastatique de la prostate résistant à la castration. La HAS précise « la survie sans progression modifiée n’a pas différé entre les groupes Zytiga* et placebo (88 jours versus 85 jours). Coût mensuel moyen : 3500 euros.
Même pour la drogue vedette incontestée de cette série, le Glivec*, les résultats initiaux qui proclamaient « la guérison de la leucémie myéloide » n’ont pas été confirmés. Certes le progrès apporté par cette drogue est important avec 50% de malades qui bénéficient d’une prolongation de leur durée de survie de plus de 5 ans mais personne ne prétend plus qu’ils sont guéris mais seulement en rémission prolongée et doivent poursuivre le traitement. Alors que sa mise au point n’a pas nécessité plus de 100 millions de dollars, il rapporte chaque année 5 à 7 milliards de dollars à la firme. Le ministère n’a pas revu son prix limité les prescriptions hors AMM.
Des solutions sont possibles immédiatement !
En Angleterre le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) intègre l’analyse cout/efficacité dans toutes les recommandations cliniques en finançant des recherches universitaires .Il privilégie une transparence totale de tous les intervenants et publie sur son site internet les projets de travaux et de recommandations permettant ainsi de préciser certains points et de redresser les erreurs. Au Canada le Pan Canadian Oncologic Drug Review (pCODR) est chargé d’évaluer de rapport efficacité /cout des nouveaux médicaments pour déterminer si leur effet justifie leur cout et proposer alors leur remboursement. Plus regardant que la France sur l’utilisation et le remboursement de ces drogues plus chères que l’or, peu efficaces et non sans danger, Le NICE en tire les conséquences en refusant le remboursement des drogues trop chères pour leur balance avantage/ cout. Quelques exemples parmi des dizaines : le NICE ne recommande pas l’Afinitor associé à l’Aromasine*, chez les femmes ménopausées souffrant de cancer métastatique du sein HER2 négatif ; il considère que l’efficacité du Tyverb® sur la durée de survie dans le cancer métastatique du sein est trop modeste pour le recommander et ne justifie pas son prix .Le NICE et le Pan Canadian Oncologic Drug Review ont refusé de recommander Kadcyla*.
En France le ministère fixe les prix. Dans les négociations il dispose d’une arme absolue : la licence obligatoire prévue dans les accords de l’OMC : en cas de médicament vital tout gouvernement peut suspendre l’application du brevet pour permettre à sa population de bénéficier des traitements à un prix supportable. Le prix des médicaments menace notre système de protection sociale, notre compétitivité industrielle du fait des charges sociales qu’il contribue à augmenter et la vitalité de notre économie par les prélèvements obligatoires supplémentaires des mutuelles santé et du RDS qui assèchent le pouvoir d’achat.
Rédaction source © Dr Gérard Delepine
Deborah Donnier › http://www.deborahdonnier.com
[1] Annexes à la conférence de presse Travail.Suisse Juin 2009
[2] Rapport 2015 « the firepower of the EU pharmaceutical lobby and implications for public health » de l’association Corporate Europe Observatory
[3] syndicat des entreprises du médicament
[4] Pierre-Yves Geoffard est professeur à l’Ecole d’économie de Paris, directeur d’études à l’EHESS
[5] sorafenib
[6] AMM autorisation de mise sur le marché
[7] Contre l’absence de molécule active
[8] Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, du Medical Oncology service de St. Louis, ou du département de Médecine de Louisiane
[9] essai RTOG 0522 et étude randomisée coréenne
[10] HAS COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS du 26 novembre 2008
[11] portant sur plus de 8 000 femmes dans 44 pays est le plus large essai jamais réalisé sur le traitement des cancers du sein HER+
[12] abiratérone